]]>

vendredi 6 avril 2007

Musique et politique : la protest song américaine


La chanson protestataire n'est pas née aux Etats-Unis, loin de là. C'est un art qui existe depuis que l’homme a imaginé qu’il serait possible de mettre en musique autre chose que des textes religieux mais ce genre s’est toujours heurté à la liberté d’expression. Au Moyen-Âge par exemple, des troubadours amusaient les foules avec des chansonnettes tournant un seigneur local en dérision. Les notions protestataires avaient beau être calfeutrées sous un voile d’humour il est pourtant certain que si les textes les plus incisifs nous étaient parvenus nous pourrions y retrouver quelques critiques sociales intéressantes. Ce billet se concentrera pourtant sur les "protest songs" made in the USA car le pouvoir et l'influence des Etats-Unis étant ce qu'ils sont, ce sont souvent les textes les plus influents. Des prochains billets dans les semaines qui viennent se concentreront sur la chanson protestataire francophone et anglaise. Retraçons donc rapidement un historique de la protest song américaine avant de présenter ceux qui ont récemment exprimé joliment une opinion politique en musique.

Nous pouvons identifier dans la musique contemporaine américaine deux grandes périodes au contexte social tendu durant lesquelles s’est véritablement développé le genre. La première période correspond grossièrement au début du 19e siècle aux Etats-Unis avec l’intensification de l’esclavage. Afin de s’exprimer sans subir les châtiments corporels de leurs maîtres les esclaves noirs américains avaient inventés tout un jargon de métaphores qu’ils chantaient en travaillant. C’est l’ « Underground Railroad », les chansons circulant de plantation en plantation sans que les propriétaires terriens ne puissent comprendre ce qu’elles signifient réellement. L’impact de ces chansons sur la musique contemporaine et sur l’héritage culturel américain fut considérable et beaucoup nous sont parvenues, la plus connue étant le fameux « Swing Low Sweet Chariot » dans laquelle le terme « chariot » désignait l’évasion.

Paul Robeson - Swing Low Sweet Chariot


texte complet

La deuxième période de gloire de la chanson protestataire américaine est sans aucun doute les années 60 et toute la mouvance pacifiste dont Bob Dylan fut bien malgré lui le porte drapeau. Bien malgré lui car Dylan n’a de ses propres aveux jamais été intéressé par la politique. Dans ses textes il se contentait souvent de décrire des situations et de mettre en musique ce qu’il en pensait. Un art qu’il avait appris en étudiant scrupuleusement l’œuvre et les méthodes de Woodie Guthrie, un chanteur folk américain engagé qui enregistra la majorité de son œuvre dans les années 40 et 50. La plupart des chansons de Dylan de ces années là étaient d’ailleurs extrapolées de coupures de presses. A posteriori, Dylan était donc à cette époque plus un artiste doté d’une conscience politique et d’un sens de la justice qu’un activiste politique. En reparcourant ses textes vous n’y retrouverez d’ailleurs jamais d’attaques frontales ou de noms. Le plus proche que Dylan soit allé de la « Protest Song » véritablement engagée est « Masters of War », qui reste pour moi son chef d’œuvre absolu. Bien qu’il y décrive à qui s’adresse sa chanson (You that build all the guns, You that build the death planes, You that build the big bombs, You that hide behind walls, You that hide behind desks) c’est toute l’industrie et la politique de la guerre qu’il attaque. C’est une chanson pacifiste mais elle n’est politique que par son contexte, écrite dans un pays menant une guerre. Toujours est-il que cette chanson n’a jamais été surpassée en terme d’écriture bileuse contre ceux qui dirigent et participent aux efforts de guerre :

”And I hope that you die
And your death'll come soon
I will follow your casket
In the pale afternoon
And I'll watch while you're lowered
Down to your deathbed
And I'll stand o'er your grave
'Til I'm sure that you're dead”

texte complet



Bob Dylan - Masters of War


Bob Dylan fut élevé (et piégé ?) en tant qu’instigateur d’un mouvement protestataire qu’il n’avait nullement l’intention de mener par les medias qui découvraient alors une nouvelle forme de musique, bien loin de la naïveté et des futilités du twist et autres crooners amoureux véhiculés par les chaines nationales. Le début des années 70 annonça la fin des illusions des protestataires des années précédentes et ce ne fut qu’à l’arrivée des punk que de véritables chansons engagées réapparurent. Les punks avaient toutefois changer la manière, préférant l’attaque frontale et la critique du système et de la société dans son ensemble. Les Sex Pistols et les Clash furent les têtes de proues des mouvements en Angleterre mais l'engouement ne fut jamais le même aux Etats-Unis. Même si la langue facilita l'exportation de cette vague, les textes des groupes étant profondément ancrés dans la réalité sociale britanique ils ne résonnèrent pas de la même manière dans la population américaine.


Dans les années 80 et 90, les protestataires folk/rock se firent plus discrets. Cela fut autant le fruit d'une moindre médiatisation des éléments qui dérangent que d'une radicalisation de leur musique. Des groupes comme Black Flag et Rage Against the Machine on continué a porter haut leurs convictions politiques et leur volonté de changement. Durant ces décénies, ce sera surtout dans le mouvement hip hop que la protestation se développera, même si elle s'oriente principalement contre les discriminations raciales de la société (impossible d'être plus direct que le "Fuck the Police" de NWA). En 1984 pourtant, Bruce Springsteen fit un énorme carton avec son "Born in the USA". Souvent méprise pour une chanson patriotique, fière de son pays à cause de son refrain tout à fait ironique, "Born in the USA" est en réalité une critique sociale très dure de l'amérique profonde comme les Clash ont pu le faire en Angleterre.

" Born down in a dead man's town
The first kick I took was when I hit the ground
You end up like a dog that's been beat too much
Till you spend half your life just covering up"

texte complet


Avec l’arrivée de Bush au pouvoir et sa politique post-11/09 on vit grandir une nouvelle vague d’opposants folk/rock, composés de vieux de la veille et de petits nouveaux. On assista à de grandes manifestations d’artistes engagés (plus ou moins crédibles) dans le mouvement « Vote for change » lors des dernières élections américaines. La chanson protestataire est donc loin d’être enterrée, même en dehors des milieux « underground » ou purement punk. La preuve avec quatre morceaux récents d’artistes quasiment « grand public »




Commençons par Conor Oberst, alias Bright Eyes. Son succès est principalement basé sur un mélange de folk et d’americana traitant plus de ses émotions et aventures sentimentales que de politique. Pourtant, il a écrit la "Protest Song" la plus virulante et directe de ses dernières années, un uppercut dans la mâchoire de Georges Bush. Critiquant la guerre, l’élection volée, la politique interne, la bêtise et les inspirations divines de son dirigeant, tout ça avec une agressivité dans la voix et un ton qui fait plaisir à entendre.

“When the president talks to God
Does he fake that drawl or merely nod?
Agree which convicts should be killed?
Where prisons should be built and filled?
Which voter fraud must be concealed
When the president talks to God?”

texte complet


Bright Eyes - When the President talks to God


Site officiel - Amazon




Deuxième chanteur épinglé dans cette série, Tom Waits. On ne présente plus ce monument à la voix inimitable dont la carrière débuta au début des années 70. Il n’a jamais été politisé, restant toujours bien à l’écart des considérations politiques, dans un petit monde bien à lui. Sur son dernier album, le triple "Orphans: Brawlers, Bawlers & Bastards", on retrouve pourtant « Road to Peace », une description, complètement factuelle du conflit israelo palestinien, ne prenant aucun parti, décrivant les atrocités dans les deux camps et terminant sur une considération forte, assez désabusée : « Maybe god himself he needs all of our help along the road to peace ». Son mode descriptif se rapproche plus de ce que faisait Dylan donc

« Israel launched it's latest campaign against Hamas on Tuesday
Two days later Hamas shot back and killed five Israeli soldiers
So thousands dead and wounded on both sides most of them middle eastern civilians
They fill the children full of hate to fight an old man's war and die upon the road to peace”

texte complet


Tom Waits - Road to Peace


Site officiel - Amazon


Troisième larrons, les Decemberists. Sur leur troisième album (« Picaresque ») on retrouve « 16 military Wives » traitant de l’absurdité de la guerre en Irak et des veuves des soldats qui reviennent du conflit entre quatre planches de bois. On y trouve également des critiques de l’impérialisme américain (if America says it's so, It's so!”) et de l’inertie des médias, qui sous le joug du pouvoir n’osent pas s’opposer ouvertement (« And the anchorperson on TV goes... La de da de da »)

“Sixteen military wives
Thirty-two softly focused brightly colored eyes
Staring at the natural tan
of thirty-two gently clenching wrinkled little hands
Seventeen company men
Out of which only twelve will make it back again
Sergeant sends a letter to five
Military wives, whose tears drip down through ten little eyes

Cheer them on to their rivals
Cause America can, and America can't say no
And America does, if America says it's so
It's so!”

Texte complet


The Decemberists - 16 Military Wives


Site officiel - Amazon



Terminons avec un rescapé des 60s qui n’a rien perdu de sa fougue et de son franc-parler, Neil Young. Je connais très peu son travail en dehors de « Harvest » et « Comes a time », ayant trop vite écarté tous ses enregistrements électrisés suite à une mauvaise expérience. « Let’s Impeach the President » est un véritable cri de guerre, chanté en chœur d’ailleurs, qui se passe de commentaires tellement il est direct…

« Let's impeach the president for lying
And leading our country into war
Abusing all the power that we gave him
And shipping all our money out the door

He¹s the man who hired all the criminals
The White House shadows who hide behind closed doors
And bend the facts to fit with their new stories
Of why we have to send our men to war “

Texte complet


Neil Young - Let's Impeach the President


Site Officiel - Amazon


Alors, musique et politique, le débat reste ouvert. Je comprends tout à fait que certains artistes ne veuillent pas s’en mêler mais entendre certaines personnes prétendre qu’il faut toujours dissocier les deux et que la politique n’a pas sa place dans la musique m’insupporte. Si vous connaissez d'autres bonnes chansons protestataires récentes, n'hésitez pas à nous les faire partager!




Pour ceux qui ont un petit peu de temps et veulent rigoler un bon coup, voici une conférence de presse de Bob Dylan en 1965. Des journalistes complètement à côté de la plaque lui posent des questions idiotes et il ne se gène pas pour se moquer d'eux sans qu'ils ne s'en rendent compte.
"- How many protest singers are there?
- euuuuhhhhh, 136"
"- Are you a protest singer ?
- No, I only make love songs"
C'est long et la qualité est exécrable mais ça vaut vraiment la peine


Et si vous voulez voir Bob Dylan mettre un journaliste en boite comme personne d'autre...

15 commentaires:

Alvaro Salvagno a dit…

Salut, je vois que t'aimes la musique.
J'ai un site de musique (pour artistes et passionés de musique) et j'aimerais que tu nous joignes.

Mon site c'est http://tonbandici.com viens faire un tour dans le forum et participe!

Unknown a dit…

Pour ce post-ci j'ai plein de choses a dire. Et comme il y en a trop je m'arrete avant de commencer.

Unknown a dit…

Oui bon, je voudrais simplement ajouter ma pierre a l'edifice dans la mare.
A l'epoque de Robert Zimmerman il y a eu "Easy Rider" dont la bande son vaut franchement le detour; Joan Baez qui chantait "Here's To You" ou bien deja Ronald Reagan (a l'epoque gouverneur de Californie) qui inspirait les chanteurs locaux.
Puis il y a eu quelques punks comme les Dead Kennedys qui chantaient aussi de belles histoires du cowboy Ronnie (devenu entre temps president des USA).
Et maintenant U2 qui fait un joli clip avec Green Day.

Mais aussi (et surtout) Dylan chante pour le pape, les D.K. sont en proces avec Jello Biafra et U2 et Neil eclatent leur porte-feuille a chaque concert.

Ca me rappelle Renaud et sa deja tres vieille chanson "societe tu m'auras pas".

reno a dit…

J'ai oublié les Dead Kennedys c'est vrai :-D honte sur moi! Le genre de choses qui arrivent quand on veut retracer brièvement en un billet de blog un genre sur lequel on pourrait écrire des bouquins (Je suis sûr qu'il y en a d'ailleurs!)...

aaaahhhhh, ce fameux duo Bono/Green Day. Un concurrent sérieux pour le titre de pire chanson entendue en 2006! mais il a le mérite de faire réfléchir une nouvelle génération de petits américains pop-punker...

Anonyme a dit…

I go to see each day a few web sites and websites to read articles,
however this webpage presents feature based articles.


Here is my webpage - Gucci Scarpe

Anonyme a dit…

Hi, its good paragraph regarding media print, we all know media is a wonderful source of data.


Here is my blog ... louis vuitton handbags Outlet

Anonyme a dit…

Yes! Finally someone writes about kraal.

Feel free to surf to my web page: Abercrombie and Fitch

Anonyme a dit…

It's not my first time to go to see this web site, i am visiting this site dailly and obtain good data from here every day.

Here is my web blog Montre Guess

Anonyme a dit…

Hey! This is kind of off topic but I need some guidance from an established
blog. Is it very difficult to set up your
own blog? I'm not very techincal but I can figure things out pretty quick. I'm thinking about setting up my own but I'm not sure where to start. Do you have any points or suggestions? Cheers

Here is my page Cheap Oakley Sunglasses

Anonyme a dit…

Having read this I thought it was rather informative.

I appreciate you finding the time and energy to put this information together.
I once again find myself personally spending way too much time
both reading and posting comments. But so what, it was still worth it!


My web blog: Get the Facts

Anonyme a dit…

Good info. Lucky me I came across your website by
accident (stumbleupon). I've book-marked it for later!

Here is my page; Air Max Pas Cher

Anonyme a dit…

I always emailed this blog post page to all my contacts, for the reason
that if like to read it after that my contacts will too.


Also visit my web blog :: Sac Guess

Anonyme a dit…

Thanks for every other informative site. The place else may just I get that kind of information written in such a perfect approach?

I've a challenge that I'm just now working on, and I've been on the glance out for such information.

my web page :: Louis Vuitton Pas Cher ()

Anonyme a dit…

Thanks for finally talking about > "Musique et politique : la protest song am�ricaine" < Liked it!

Stop by my blog: Boutique Air Jordan

Anonyme a dit…

An interesting discussion is worth comment. I think that you ought to write more on this subject matter,
it may not be a taboo matter but usually folks don't discuss these issues. To the next! Best wishes!!

My web page; binauarl beats